Quelques  années plus tôt, la colocation que je vie part en vrille. Mon coloc’ me  tape sur les nerfs… Il faut que je parte, vite, avant qu’il ne me  bouffe complètement. Je bosse, mais pas suffisamment pour être reconnu  apte à payer le loyer d’un studio. En France, on aime les garants, la  paperasse et le fric. Pendant plusieurs mois, je squatte à droite à  gauche, chez des ami-e-s. Sans le vouloir, j’empiète sur leurs vies  privées, on s’étouffe. Je vais chez les uns et chez les autres, je  cumule les sous-locations à court-termes, en claquant la quasi  intégralité de mon salaire pour avoir un toit sur la tête. Je me  débrouille comme je peux pour arrondir les angles. Je supplie ma mère  pour qu’elle m’aide. La réponse est invariablement négative. Selon Elle,  je dois  rejoindre sa campagne où je trouverais un vrai boulot, et où il serait  préférable que j’ai femme et enfants… Beurk ! Je m’obstine, je rame,  toujours et encore. Parfois, je gère mal mon planning, je fais la  navette dans les bus de nuit pour me reposer un peu avant d’aller au  bureau. Je masque ma peine. Je me demande comment survivre. Quand je  rencontre un mec, il m’est impossible de dire où j’habite. Tous ou  presque flippent. Les SDF et les galériens, ils n’en veulent pas. Je  baise à l’occasion pour me sentir vivant, pour avoir l’illusion un bref  instant d’être aimé.
Au  bureau, lorsque je n’ai personne sur le dos ou que je ne croule pas  sous le travail, je parcoure les sites de colocation : rien ne m’est  accessible. Soit j’ai un toit, soit je bouffe. Impossible de faire les  deux. Les hôtels au mois sont complets… Je passe des annonces claires :  « JH gay, avec fiches de paie, cherche colocation avec garçon gay ou  fille, fumeur… Attention, je ne couche pas ». J’ai reçu plusieurs appels  de pervers : « Le loyer est de 500 euros, on partage un canapé lit dans  un studio… tu suces ? » ! Horreur ! Non, le proxénétisme hôtelier n’est  pas mon truc. 
Plusieurs  mois passent ainsi jusqu’au jour où je tombe sur un étudiant venu de  l’extrême orient. On se rencontre. Je visite l’appartement. Ce n’est pas  grand, mais chacun dispose d’un lit dans une chambre individuelle. Les  choses sont claires : nous ne serons jamais amants ! Ouf de soulagement.  Il me rappelle quelques jours plus tard. J’emménage avec mes cartons.  On sympathise même si nous croisons rarement. Après quelques mois, il  m’avoue être dans une mauvaise passe : ses études s’achèvent et son visa  arrivera sous peu à expiration. On pose carte sur table et nous  décidons de nous pacser. A l’époque, il suffisait d’un an de vie commune  (sous contrat) pour qu’il puisse obtenir une régularisation. On se  lance dans l’aventure et nous voilà liés  pour le meilleur et pour le pire.
Quelques  mois plus tard, il tente d’obtenir une carte de résident au motif « vie  privée et familiale ». On la lui refuse. Nous ne sommes pas pacsés  depuis un an. Traversée du désert : même en étant mon « conjoint », il  rejoint le club des « sans-papiers »… Angoisse. 
Le  temps passe. Je rencontre un homme dont je tombe éperdument amoureux.  En moins de quelques semaines, je plie bagages. Je ne revois mon  conjoint qu’au moment d’aller récupérer mon courrier. Ca se passe bien  entre nous. Je ne me soucie guère de ses démarches, trop occupé à  savourer mon bonheur. Un an plus tard, il me téléphone en catastrophe.  En grillant un feu rouge, la police l’a démasqué. On le conduit au  poste. Le lendemain, je me rends au cabinet de l’avocat choisi pour le  représenter. L’affaire est loin d’être gagnée, l’homme de loi est  pessimiste. Le dimanche matin, je me lève à l’aube pour assister à son  procès. Le juge torche l’affaire en moins de deux minutes, sans tenir  compte du pacs. L’avis d’expulsion est prononcé. On le ramène à sa  cellule,  je le rejoins pour discuter. J’ai peur pour lui. On se sépare. Quelque  part, je me sens soulagé par cette prochaine expulsion. Je lui ai donné  deux ans de ma vie, j’ai beau détester la politique xénophobe du  gouvernement, j’ai envie de me sentir libre de vivre auprès de l’élu de  mon cœur. L’avocat invoque un vice de procédure le lendemain au tribunal  administratif. Je soutiens mon conjoint, pose ma main sur son épaule  lorsqu’il est assis devant moi au banc des accusés. On attend les  délibérations. Finalement, le juge reconnait notre pacs et le vice de  procédure. Ouf ! Mon conjoint restera. L’espoir renait dans ses yeux, il  n’aura pas à retourner dans ce pays où catholiques et musulmans  s’entretuent (sauf pour casser du pédé)…
Plusieurs  semaines plus tard, nous nous rendons à nouveau à la préfecture. On lui  accorde sa carte de séjour valable un an. Il lui en faudra 3 pour  pouvoir prétendre par la suite à une carte de résident. Nous  recommençons les mêmes démarches durant les deux années qui suivent. On  pense souffler. Après 5 années de pacs, au moment d’effectuer la demande  de renouvellement de titre de séjour provisoire, nous tentons d’obtenir  une carte de résident valable 10ans. Inouï : les conditions d’obtention  ont encore durci. Il aurait fallu, pour que ces titres de séjours  étudiants soient recevables qu’il déclare à lui seul plus de 12.000  euros de ressources annuelles. Dans la foulée, on nous informe aussi  qu’il faut désormais 5 titres de séjours consécutifs « vie  familiale et personnelle » pour pouvoir y prétendre. En résumé, la loi  ne tient pas compte de sa date d’arrivée en France, ni du pacs, mais des  petits bouts de papiers qu’elle décerne sous des conditions très  strictes.
Nous  pensions pouvoir enfin nous dire « au revoir » cette année, et nous  remercier pour le soutien mutuel que l’on s’est accordé face à la  xénophobie d’Etat. Je m’étais engagé à dire « Oui » à mon cher et tendre  l’an prochain. Tout est repoussé à dans 3ans minimum, si la législation  ne se durcit pas encore. Si le mariage était accordé aux LGBT, nous  n’en serions pas là, chacun de nous deux serait libre de vivre sa  destinée.
En  conclusion, mon conjoint et moi sommes des prisonniers politiques. Nous  ne pouvons pas mener nos vies telles que nous les entendons. La France  aime bien les étrangers à conditions qu’ils soient riches ! Elle déteste  les pédés en leur refusant l’égalité réelle avec les autres citoyens,  elle aime expédier les étrangers et les hors-normes qu’elle n’a pas  produit là où elle ne verra pas les crimes commis contre l’humanité…
Bref :  Les couples LGBTIQ binationaux sont des prisonniers politiques. J’en  fais parti. J’ai honte d’être français de par mes parents et grands  parents. Nous sommes enfermés dans les murs de la xénophobie. Je suis  écœuré… J'ai aussi très peur pour mon conjoint.
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