lundi 17 janvier 2011

"Prisonnier politique"

Quelques années plus tôt, la colocation que je vie part en vrille. Mon coloc’ me tape sur les nerfs… Il faut que je parte, vite, avant qu’il ne me bouffe complètement. Je bosse, mais pas suffisamment pour être reconnu apte à payer le loyer d’un studio. En France, on aime les garants, la paperasse et le fric. Pendant plusieurs mois, je squatte à droite à gauche, chez des ami-e-s. Sans le vouloir, j’empiète sur leurs vies privées, on s’étouffe. Je vais chez les uns et chez les autres, je cumule les sous-locations à court-termes, en claquant la quasi intégralité de mon salaire pour avoir un toit sur la tête. Je me débrouille comme je peux pour arrondir les angles. Je supplie ma mère pour qu’elle m’aide. La réponse est invariablement négative. Selon Elle, je dois rejoindre sa campagne où je trouverais un vrai boulot, et où il serait préférable que j’ai femme et enfants… Beurk ! Je m’obstine, je rame, toujours et encore. Parfois, je gère mal mon planning, je fais la navette dans les bus de nuit pour me reposer un peu avant d’aller au bureau. Je masque ma peine. Je me demande comment survivre. Quand je rencontre un mec, il m’est impossible de dire où j’habite. Tous ou presque flippent. Les SDF et les galériens, ils n’en veulent pas. Je baise à l’occasion pour me sentir vivant, pour avoir l’illusion un bref instant d’être aimé.
Au bureau, lorsque je n’ai personne sur le dos ou que je ne croule pas sous le travail, je parcoure les sites de colocation : rien ne m’est accessible. Soit j’ai un toit, soit je bouffe. Impossible de faire les deux. Les hôtels au mois sont complets… Je passe des annonces claires : « JH gay, avec fiches de paie, cherche colocation avec garçon gay ou fille, fumeur… Attention, je ne couche pas ». J’ai reçu plusieurs appels de pervers : « Le loyer est de 500 euros, on partage un canapé lit dans un studio… tu suces ? » ! Horreur ! Non, le proxénétisme hôtelier n’est pas mon truc.
Plusieurs mois passent ainsi jusqu’au jour où je tombe sur un étudiant venu de l’extrême orient. On se rencontre. Je visite l’appartement. Ce n’est pas grand, mais chacun dispose d’un lit dans une chambre individuelle. Les choses sont claires : nous ne serons jamais amants ! Ouf de soulagement. Il me rappelle quelques jours plus tard. J’emménage avec mes cartons. On sympathise même si nous croisons rarement. Après quelques mois, il m’avoue être dans une mauvaise passe : ses études s’achèvent et son visa arrivera sous peu à expiration. On pose carte sur table et nous décidons de nous pacser. A l’époque, il suffisait d’un an de vie commune (sous contrat) pour qu’il puisse obtenir une régularisation. On se lance dans l’aventure et nous voilà liés pour le meilleur et pour le pire.
Quelques mois plus tard, il tente d’obtenir une carte de résident au motif « vie privée et familiale ». On la lui refuse. Nous ne sommes pas pacsés depuis un an. Traversée du désert : même en étant mon « conjoint », il rejoint le club des « sans-papiers »… Angoisse.
Le temps passe. Je rencontre un homme dont je tombe éperdument amoureux. En moins de quelques semaines, je plie bagages. Je ne revois mon conjoint qu’au moment d’aller récupérer mon courrier. Ca se passe bien entre nous. Je ne me soucie guère de ses démarches, trop occupé à savourer mon bonheur. Un an plus tard, il me téléphone en catastrophe. En grillant un feu rouge, la police l’a démasqué. On le conduit au poste. Le lendemain, je me rends au cabinet de l’avocat choisi pour le représenter. L’affaire est loin d’être gagnée, l’homme de loi est pessimiste. Le dimanche matin, je me lève à l’aube pour assister à son procès. Le juge torche l’affaire en moins de deux minutes, sans tenir compte du pacs. L’avis d’expulsion est prononcé. On le ramène à sa cellule, je le rejoins pour discuter. J’ai peur pour lui. On se sépare. Quelque part, je me sens soulagé par cette prochaine expulsion. Je lui ai donné deux ans de ma vie, j’ai beau détester la politique xénophobe du gouvernement, j’ai envie de me sentir libre de vivre auprès de l’élu de mon cœur. L’avocat invoque un vice de procédure le lendemain au tribunal administratif. Je soutiens mon conjoint, pose ma main sur son épaule lorsqu’il est assis devant moi au banc des accusés. On attend les délibérations. Finalement, le juge reconnait notre pacs et le vice de procédure. Ouf ! Mon conjoint restera. L’espoir renait dans ses yeux, il n’aura pas à retourner dans ce pays où catholiques et musulmans s’entretuent (sauf pour casser du pédé)…
Plusieurs semaines plus tard, nous nous rendons à nouveau à la préfecture. On lui accorde sa carte de séjour valable un an. Il lui en faudra 3 pour pouvoir prétendre par la suite à une carte de résident. Nous recommençons les mêmes démarches durant les deux années qui suivent. On pense souffler. Après 5 années de pacs, au moment d’effectuer la demande de renouvellement de titre de séjour provisoire, nous tentons d’obtenir une carte de résident valable 10ans. Inouï : les conditions d’obtention ont encore durci. Il aurait fallu, pour que ces titres de séjours étudiants soient recevables qu’il déclare à lui seul plus de 12.000 euros de ressources annuelles. Dans la foulée, on nous informe aussi qu’il faut désormais 5 titres de séjours consécutifs « vie familiale et personnelle » pour pouvoir y prétendre. En résumé, la loi ne tient pas compte de sa date d’arrivée en France, ni du pacs, mais des petits bouts de papiers qu’elle décerne sous des conditions très strictes.
Nous pensions pouvoir enfin nous dire « au revoir » cette année, et nous remercier pour le soutien mutuel que l’on s’est accordé face à la xénophobie d’Etat. Je m’étais engagé à dire « Oui » à mon cher et tendre l’an prochain. Tout est repoussé à dans 3ans minimum, si la législation ne se durcit pas encore. Si le mariage était accordé aux LGBT, nous n’en serions pas là, chacun de nous deux serait libre de vivre sa destinée.
En conclusion, mon conjoint et moi sommes des prisonniers politiques. Nous ne pouvons pas mener nos vies telles que nous les entendons. La France aime bien les étrangers à conditions qu’ils soient riches ! Elle déteste les pédés en leur refusant l’égalité réelle avec les autres citoyens, elle aime expédier les étrangers et les hors-normes qu’elle n’a pas produit là où elle ne verra pas les crimes commis contre l’humanité…
Bref : Les couples LGBTIQ binationaux sont des prisonniers politiques. J’en fais parti. J’ai honte d’être français de par mes parents et grands parents. Nous sommes enfermés dans les murs de la xénophobie. Je suis écœuré… J'ai aussi très peur pour mon conjoint.

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