mercredi 12 janvier 2011

ArT

Ne m’appelez pas Mademoiselle
Je ne suis sous la coupe paternelle
Et n’ai nul besoin de tutelle

Ne m’appelez pas Mademoiselle
Qu’ai-je encore de la jouvencelle ?
Il y a longtemps que je ne suis pucelle

Ne m’appelez pas Madame
Epouse d’aucun quidam
Comment peut-on dire prendre femme ?

Ne m’appelez pas Madame
Les lois à garder mon nom me condamnent
Si je pouvais seulement le choisir, damne !

Sont-ce là des civilités ?


À 4 ans, mon nom ne m’allait déjà plus. Je ne voulais pas être princesse délaissée, mais le héro de légende. Pour ma première amoureuse, j’étais Richard. Et elle ne me nommait pas autrement alors qu’elle m’entendait appeler et répondre « présente » chaque matin.
Mon goût pour la chevalerie était partagé, nous avons produit un conte illustré et des costumes pour en donner une représentation aux parents. Comme j’étais fièrE de terrasser le dragon et de ravir le cœur de la dame de compagnie (et oui, lutte des classes dans les petites classes).
Ça n’a pas été du goût de ma mère. Le triomphe amer.

La fée marraine offre des robes. On se déguise pour son plaisir. Quand je choisis de me faire bel’, c’est chemisette à rayure et nœud pap’ assorti, si, si…

Les rangs se resserrent. Pendant les récréations, on peut encore se rêver sous de nouvelles armures. On me prend pour un garçon, je tiens à détromper fièrement.
Quand s’approche le moment de quitter les murs primaires, ça se complique. Si on joue, ce sont les filles contre les garçons, on ne me laisse plus choisir mon camp.

Mon corps ne me facilite pas plus les choses. Il pouvait pas me faire plus grandE ?! Pff. Ben non, il m’a fait des gros seins, c’est malin !
J’ai essayé de rester avec les gars, on m’a fait dire que j’étais plus qu’unE pote. J’en ai joué, pas aveugle à ce que pouvait signifier dans le groupe. Mais j’étais loin de cette surface. Je comprenais les règles, mais n’avais aucun goût au jeu. Plutôt du dégoût devant les regards qui ne cherchaient pas mes yeux.

Les surnoms de cette époque, je suis contente de les omettre ici.
Je m’omettais moi-même, je signais Someone souligné d’un point d’interrogation.
J’appri à « taguer » mon prénom. Il est devenu griffe, secret. Pour les intimes, pour mes dessins.

Dans le chœur, je suis la doyenne. Pour les concerts, il je sors parfois les talons. C’est une tenue de scène, une convention comme une autre, un déguisement occasionnel.
Je préfère chanter en dansant, canne ou chapeau à la main.

Plus loin, plus grand. La majesté du lieu, et un autre choc esthétique. On est dans la même classe. Le trouble est tel que timidité et maladresse s’émulent malheureusement. Je ne comprends pas ce qui m’agit(e).
Je me souviens encore du toucher de sa main sur le cuir usé de mon perfecto.
L’élégance de mes années lycée ce sont les Dr Martens noires, le pantalon à pinces, la chemise blanche cintrée par le gilet noir, mes boucles folles, le borsalino mou.

Une mention, une tonte. C’était le prétexte donné à la famille, deux ans que je l’attendais et secret. On m’a offert un bonnet, on m’a cachée. On n'porte pas de bonnet au mois de juillet. Pantalons larges, t-shirts basics, que ce soit pour y passer mes épaules ou ma poitrine, ça fait sac.

La bonzesse.
Tous n’y voient pas quelque chose de spirituel.
Pour moi c’est une libération des conventions. Je me vois tête nue. Tête d’œuf, ovales et ellipses que j’ai appris à dessiner. Je me vois, me voyez-vous ?
On me regarde autrement, je (ne) suis autre.

Pendant quelques années, je signe mes mots doux comme Zorro. Surnom donné par l’être aimé d’alors, montrant sa confiance et son goût pour Jamel Debouze. Si on avait pu se marier (mais serais-je allée jusque-là ?!), aurais-je souhaité prendre pour nom le prénom que je m’étais choisi 20 ans plus tôt ?
Z n’était pas très drôle. Tout le monde en a eu assez.

Pour le boulot, je me fais poupée. À ma mesure, hein, faut pas exagérer non plus ! Pas assez femme du point de vue de la cheffe, pas bobonne en tout cas. Pourtant, j’y étais placard.
Plus j’ai rencontré le machisme, plus j’ai trouvé plaisir à montrer mes formes tout en étant out and proud.

Ces temps-ci, on me traite de Bisounours.
Je suis p’t-être gentiLE, mais j’suis pas ourson sans sexe sur son petit nuage. Je vais au charbon, comme tout le monde, j’aime jouir et faire jouir.
Je reconnais avoir un cœur d’artichaut. Il y en a pour tout le monde si on l’ouvre. À la chaleur de certainEs, je deviens mon premier moi en mieux. Le début de mon prénom s’arrête avant la bêtise à l’instant T. Un grand T.

Toute expression suscite une vision personnelle. Outil de communication quotidien, on oublie que la langue est le matériau littéraire, et donc essentiellement culturel. À travers lui aussi ce qu’on entend est autant, ou plus, fonction de soi que de ce qui nous est présenté.

Je garde le nom qu’on m’a donné, car, quel qu’il soit, il ne suffit pas à me dire.

Dans mon dernier diminutif et je me suis reconnue, et me plais même. Je signe aujourd’hui, et ici, par lui. Demain, ailleurs, il en sera certainement autrement.
ArT

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