lundi 1 novembre 2010

Maco

"Je me nomme donc je suis". C'est vrai. Mais j'arrive aussi à me nommer quand je sais, ou entrevois ce que je suis. Et voilà que les tourments commencent...femme aujourd'hui, homme demain, peut-être bien trans', parfois pédé, plus rarement bisexuelLE, mais toujours clitophile.



D'abord lesbienne, j'ai trouvé dans l'en-dehors de l'hétérosexualité des ressources pour explorer d'autres possibles, autrefois impensés. Lesbienne aussi parce que là d'où je viens "gouine" ne veut rien dire, alors que "lesbienne" en fait trembler plus d'unE, provoque tout un tas de frissons et renvoient à des choses mystérieuses que l'on veut enfouir à jamais. Alors oui je suis gouine à Paris, mais lesbienne chez moi. Et là on en arrive à un autre problème : qu'est-ce qu'être une gouine quand on a la peau qui n'a pas besoin de bronzer au soleil ? Qu'est-ce qu'être un gouine lorsqu'on a les cheveux raides et que les coiffures types qui représentent les autres stars féministes et queers du milieu sont comme une aude aux cheveux lisses ? Qu'est-ce qu'être une gouine lorsqu'on a été baignéE par des imaginaires qui valorisent les rondeurs, les formes plantureuses et que l'on se retrouve désormais outre-atlantique dans des milieux où l'on valorise l'extrême minceur androgyne? Alors oui, moi ça m'enmerde que des identités soit disant politiques demeurent excluantes. Alors pour faire chier, exprès, je suis lesbienne. Comme disent mes copines américaines : Black lesbian. (Copines américaines qui par ailleurs me saoulent parfois car elles pensent pouvoir parler pour les NoirEs-du-monde-entier).

Mais est-ce que ma négritude, même difficile à porter, doit me dédouaner de penser que moi aussi je pourrais être en position hégémonique sur certaines plans ? Absolument pas. Quand je bois des verres plusieurs fois par mois avec des copains et copines, en refaisant le monde, je me rends bien compte que c'est bien parce qu'on a de la tune, même sans être riches, qu'on a le temps de se branler intellectuellement, bierres à la main. Y'en a qui n'ont pas le temps ni les moyens d'aller boire des verres après chaque manif, comme on le fait nous, après avoir gueulé des heures durant "à mort le capitalisme!". Y'en a qui ne peuvent pas militer parce que militer ça coûte cher, ça fait rentrer tard, et quand on est loin et qu'on n'a plus de RER ça fout la rage. Pire encore, y'en a qui n'ont pas cinquante milliards d'asso LGBT machin-truc autour de chez elles/eux, et qui aimeraient parfois ne pas avoir cette horrible sensation d'être seulE au monde.

Alors oui dans mon identité ça compte : je ne suis pas pauvre, je suis même plutôt privilégiéE, car j'ai pu quitter ma p'tite terre et venir étudier à Paris. Alors non, je ne suis pas juste non blancHE, car d'autres, mêmes en étant blancHEs, en chient plus que moi sur certains points. "Je suis" est donc un enchevêtrement de positions, plus souvent subalternes, mais lorsqu'on est pas trop mal lotiEs concernant la fameuse classe sociale, ça reconfigure tout le reste, et être non blancHEs, non straight, n'est plus aussi terrible, même si évidemment c'est déjà bien la merde puisque j'ai déjà vécu par exemple des preuves de racismes complètement dénués de question de classe. Il était tout simplement question de me faire comprendre que ma place était dans ma brousse. Donc oui, négreSSEs, rebeux, chintok, feuj, paki, roms, etc, riches ou pauvres, straight or gay, trans' ou cis', y'en a qui trouvent qu'on pue. ça, je ne l'oublie pas. Je ne veux pas non plus faire comme si parfois, ça n'était pas absolument horrible d'être tourmentéE par des questions de genre, de sexualité, car dans ce foutu hétéro-land, tout nous rappelle qu'on est bizarre, et même sans la pauvreté, c'est un calvaire. Alors a fortiori lorsqu'on a des problèmes de tune...

Autre problème : comment être trans' lorsque la psychiatrie veut m'expliquer que si je hais l'assignation au rose, je dois épouser complètement le bleu ? Comment se modifier physiquement, refuser la stérilisation, alors que sans celle-ci il est dur d'avoir des papiers ? (papiers qu'au fond je ne veux pas tant que ça, mais qui me permettraient juste d'avoir un taff définitif, puisque je suis pas sûrE que dans cette société merdique, on puisse embaucher une Mademoiselle [GRRR !!!] Truc-machin qui affiche une barbe grossière et une voix de baryton). Alors même dans mon projet de transition je suis enmerdéE, le message est clair je l'ai compris : si tu veux pas être fââââme, soit un hôôôme comme nous on l'a décidé. Donc à moi de m'inventer une trans identité non exclusive. Non exclusive au sens où j'aimerais parfois  foutre dans la gueule de certains que c'est une femme qui vient de les mater. Donc une transidentité me permettant de faire des va et vient entre plusieurs positions. Une transidentité où je peux modifier mon corps, me muscler politiquement, me saisir des vécus liés à l'assignation à la classe "fâââââme" pour construire des non-féminités non oppressives (Non-féminités qui pour les gens ressembleront à des masculinités, car c'est bien connu, si c'est pas féminin, c'est masculin, et pi c'est tout).

"Je suis" est peut-être tout simplement trans' pour m'appaiser et m'aider à penser une autre voie que la binarité, femme dans certains milieux pour faire chier les idiots qui pensent que le monde est à eux, lesbienne pour enmerder les gouines blanco-centrées, gouine chez les lesbiennes politicophobes, tapette fier de son clito qu'il gardera à jamais pour faire chier les pédé-mainstream- phalliques-on-se-la-joue-virils,  antiraciste chez les féministes, féministe chez les antiracistes, caribénNE à Paris et ailleurs, mais dans la Caraïbes conscientE du fait que vivre toute l'année à Paris me fait avoir un vécu différent quand bien même les origines sont les mêmes,  tellement butch et queer chez les enmerdeuses de matérialistes qui déconstruisent rien, tellement matérialiste chez les queers qui dépolitisent tout, outrancièrement pute au pieux, asexuelLe monogame devant les fachos aux discours qui enjoignent à baiser tout le temps et avec plein de gens pour prouver qu'on a vraiment tout déconstruit, Négresse-nègre en tout temps et en tous lieux et enfin,  conscientE de devoir bien souvent la fermer car moi je peux étudier, me lever tard, m'acheter parfois des futilités, ce qui implique d'apprendre à ne pas sortir en tout tps Butler, Spivak & co afin de laisser d'autres parler de leurs réalités ô combien plus trash parfois.

Au final, je me suis nomméE ou alors j'ai fait la démonstration que je suis innomable dans un système de pensée ultra excluant, binaire et raciste. Et c'est peut-être un soulagement finalement de me rendre compte qu'un tel système ne me reconnait pas. Ne nous reconnait pas.

2 commentaires:

  1. "Quand je bois des verres plusieurs fois par mois avec des copains et copines, en refaisant le monde, je me rends bien compte que c'est bien parce qu'on a de la tune, même sans être riches, qu'on a le temps de se branler intellectuellement, bierres à la main. Y'en a qui n'ont pas le temps ni les moyens d'aller boire des verres après chaque manif, comme on le fait nous, après avoir gueulé des heures durant "à mort le capitalisme!". Y'en a qui ne peuvent pas militer parce que militer ça coûte cher, ça fait rentrer tard, et quand on est loin et qu'on n'a plus de RER ça fout la rage. Pire encore, y'en a qui n'ont pas cinquante milliards d'asso LGBT machin-truc autour de chez elles/eux, et qui aimeraient parfois ne pas avoir cette horrible sensation d'être seulE au monde."
    je ne l'aurai pas mieux dit!! ne pas oublier nos privileges, ne pas juste se victimiser en oubliant tous les avantages et confort de vie aux quels nous avons acces!!

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  2. "Et c'est peut-être un soulagement finalement de me rendre compte qu'un tel système ne me reconnait pas. Ne nous reconnait pas. "
    pour ma part, cest un soulagement en effet!!je ne veux pas etre integrE, ni assimilE dans ce sysytme!!mais tant que le sysyteme existe tel qu'il est je continuerai de ma battre pour une equite/egalite des droits!!Mais je ne reconnais pas ce systeme, je ne crois pas en lui, je suis unE outsider, et dans le fond ca me reconforte !!

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